mehryl ferri levisse
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galerie bertrand grimont paris (FR)
solo show
08.11.2018 - 31.12.2018
site specific installation
wallpaper, photography, 5 masks
crédit photo © Aurélien Mole - Galerie Bertrand Grimont
Mehryl Ferri Levisse, où l’ornement subjectivité
Les thèmes des mascarades, des métamorphoses, de l’androgyne ou des individuations multiples sont apparus, telle une loi du genre dans les pratiques et les discours le long du XXe siècle, précisément car ils imprégnaient l’époque d’une nécessité. Celle, d’abord, de s’affranchir d’une identité une et figée, façonnée au cours des siècles comme instance de contrôle et instituée par la photographie comme représentation. Celle, plus souterraine, d’abandonner un système de référence, où les notions de « moi » ou de « je », si utiles pour imposer la supériorité de l’humain sur le reste du monde et les autres règnes, seraient élevées au rang de valeurs cardinales.
De Claude Cahun à Cindy Sherman, en passant par Michel Journiac ou Warhol, la photographie est devenue une technique de soi, susceptible de compléter et de sculpter son personnage. Les « captations photographiques » de Mehryl Ferri Levisse, tout à la fois mises en scène et promises à la vélocité, ne se contentent pas de s’inscrire dans une filiation à l’histoire de l’art, elles poussent un peu plus loin la compréhension de soi et notre relation au médium. Ce n’est plus l’intériorité inquiète d’un sujet face à lui-même ni la liquidation de ce dernier dans l’image, ou encore la logique deleuzienne des devenirs minoritaires qui motivent l’artiste, bien que tout cela à la fois, mais une vision holistique en phase avec les problématiques contemporaines. Lorsque l’on a tué le sujet, fait de l’homme un devenir-femme ou un devenir-animal, fait du corps un décor, que reste-t-il ?
Ici une vaste scénographie, aussi baroque qu’onirique, où l’anonymat recouvre sa présence au monde. Pour sa première exposition personnelle en galerie à Paris, Mehryl Ferri Levisse investit les arcanes de celle de Bertrand Grimont pour une expérience tout à la fois visuelle et sensible, politique et esthétique. L’apparat contamine les parois de la galerie tel un organisme qui envelopperait diverses strates identitaires tout en devenant un prolongement de ces dernières. Les captations installent, sans la figer, une relation particulière entre le regardant et le regardé qui ne cède ni au repli identitaire ni à un éventail sans conséquence. Plus que des jeux de réversibilité de corps au décor, les murs deviennent une extension de l’identité, dans lequel les catégories d’ego ou d’intériorité n’auraient plus cours.
Aujourd’hui les questions, si ambiguës, liées à l’identité tendent vers deux extrêmes que tout oppose : un repli de l’homme sur lui-même par des reterritorialisations d’ordre nationaliste, corporatiste, raciste ou paternaliste, telles qu’en témoignent certaines séries de Mehryl Ferri Levisse. Ou, au contraire, une vision dépliée de celle-ci à des entités autres, collectives, humaines ou non-humaines, dans l’idée d’un parlement élargi. Ainsi le papier peint intitulé Le jardin des souvenirs se fait l’écran de projections infantiles, de songes et de récits animistes ou chamaniques. Aux devenirs-autres et autres entre-deux se joue désormais une reformulation de soi qui passe par des cosmogonies. En revisitant le thème des Hidden mothers de l’ère victorienne, lesquelles se dissimulaient voilées en maintenant leur progéniture le temps de la pose, la série des mères cachées incarnent des traits d’union ontologiques insoupçonnées et pourtant bien réelles. Les schémas anthropomorphes éclatent au profit de mondes et de règnes plus larges et complexes dans un devenir cosmomorphe. À l’image de « Faire tapisserie », il ne s’agit pas tant de se rendre invisible, mais attentif et présent à ce qui nous entoure. Dès lors, contrairement aux photographies de Francesca Woodman, l’anonymat et le mimétisme ne procède pas tant d’une fuite pathologique du sujet, que d’une adaptation, voire une assimilation positive à l’ornement, sous la forme d’une subjectivité cultivée. De nouvelles alliances voient le jour et des modes d’existence officieux s’animent d’une quasi-vie en même temps qu’ils contiennent une part de nous-mêmes, de notre mémoire et de nos affects.
Si l’humain n’est plus au milieu du monde, mais est devenu milieu, il tend à se fondre dans l’environnement en l’accompagnant dans ses transformations. Ce dernier ne saurait par conséquent se réduire à entourer l’humain en l’individuant : il en est bien davantage son partenaire, le moyen par lequel se pense une communication inter-êtres.
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english version
Mehryl Ferri Levisse, where the subjective ornament
The themes of masquerades, metamorphoses, androgynous or multiple individuations appeared, as a law of the genre in practices and discourses throughout the 20th century, precisely because they impregnated the time with a necessity. First, it served to free oneself from a single, fixed identity, shaped over the centuries as an authority of control and instituted by photography as a representation. Then, more underlying reason, was to abandon a reference system where the notions of «me» or «I», so useful to impose the superiority of the
human being over the rest of the world and the other kingdoms, would be elevated to the rank of cardinal values.
From Claude Cahun to Cindy Sherman, Michel Journiac to Warhol, photography has become a self-evident technique that can complement and sculpt your character. Mehryl Ferri Levisse’s «photographic recordings», both staged and promised to be fast, are not only part of a relationship with art history, they also take self-understanding and our relationship with the medium a step further. It is no longer the worried interiority of a subject in front of himself or the liquidation of the latter in the image, or the Deleuzian logic of becoming a minority that motivates the artist, although all this at the same time, but a holistic vision in phase with contemporary issues. When the subject has been killed, man is turned into a female or animal becoming, the body into a scenery, what is left?
Here is a vast scenography, as baroque as it is dreamlike, where anonymity recovers its presence in the world. For his first solo exhibition in a gallery in Paris, Mehryl Ferri Levisse invests Bertrand Grimont’s mysteries for an experience that is at once visual and sensitive, political and aesthetic. The apparatus contaminates the walls of the gallery like an organism that would envelop various layers of identity while becoming an extension of them. The captures install, without freezing it, a particular relationship between the gaze and the gaze that does not give way to identity withdrawal or to an inconsequential range. More than games of reversibility of bodies to the decor, walls become an extension of identity, in which the categories of ego or interiority would no longer apply.
Today, the questions, so ambiguous, related to identity tend towards two extremes that everything opposes: a withdrawal of man into himself through reterritorializations of a nationalist, corporatist, racist or paternalistic nature, as shown by certain series by Mehryl Ferri Levisse. Or, on the contrary, a vision unfolded from it to other entities, collective, human or non-human, in the idea of an enlarged parliament. Thus the wallpaper entitled Le jardin des souvenirs is a screen of childhood projections, dreams and animist or shamanic stories. To become others and others in between is now at stake a reformulation of the self that passes through cosmogonies. By revisiting the theme of the Victorian era’s Hidden Mothers, who concealed themselves veiled by keeping their offspring in hiding during the pose, the Hidden Mothers series embodies unsuspected yet very real ontological hyphens. Anthropomorphic patterns explode to the benefit of larger and more complex worlds and
kingdoms in a cosmomorphic becoming. Like «Faire tapisserie», it is not so much a question of making oneself invisible, but of being attentive and present to what surrounds us. Therefore, unlike Francesca Woodman’s photographs, anonymity and mimicry are not so much a result of a pathological escape of the subject, as of an adaptation, or even a positive assimilation to ornament, in the form of a cultivated subjectivity. New alliances are emerging and unofficial modes of existence are animated by a quasi-life while at the same time containing a part of
ourselves, our memory and our affects.
If the human being is no longer in the middle of the world, but has become a middle, he tends to blend into the environment by accompanying it in its transformations. The latter cannot therefore be reduced to surrounding the human being by individuating him: he is much more his partner,
the means by which inter-being communication is thought of.
text by Marion Zilio
critique d’art (AICA) et commissaire indépendante (CEA)
art critic (AICA) and independant curator (CEA)
wallpaper, pattern, motif, papier peint, ornement
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